Clin d’oeil au calendrier : le 9 novembre

Aujourd’hui, pour ceux qui descendent d’un avion en provenance du bout du monde (chanceux que vous êtes !) et qui n’ont pas encore totalement repris pied, nous sommes le 9 novembre.

L’étudiante passionnée que je suis se frotte les mains avec bonheur : quelle date ! Il y a tellement, tellement de choses à dire ! C’est très simple, si Paris pouvait être mis en bouteille, si on devait résumer, vraiment totalement résumer, nous pourrions dire que l’Histoire allemande s’est écrite ce jour-là.

9.11.1989

J’avais un prof à la fac qui précisait toujours lorsqu’il parlait de la Chute du Mur : 9 novembre 1989, 20h00. Cela m’a toujours paru extraordinaire que l’on puisse ainsi suivre à l’heure près les évènements comme s’ils avaient lieu en ce moment même. 9 novembre 1989, 20h00. On s’y croirait. On aurait presque envie de quitter son amphithéâtre (avouons-le, assez vide et dont le plafond perd tristement son plâtre) et d’aller voir ce qui s’y passe, sur ce mur. Aller danser la farandole, donner de grands coups de marteaux dans cette frontière de béton bâtie, dit-on, en une nuit d’août (je vous laisse deviner laquelle) 1961. Quand on habite Berlin et que notre Fac est à quelques minuscules kilomètres seulement de la Porte de Brandebourg (ce qui est mon cas, oui, je sais, j’ai de la chance), rien ne paraît plus facile. Sortir, remonter la Unter den Linden, éviter les travaux, passer sous les arcades de la fameuse porte et s’arrêter le long de cette ligne de pavés qui traverse l’asphalte et que les voitures écrasent. Car aujourd’hui, le mur est une mince ligne pavée qui traverse la capitale allemande et que les touristes s’amusent à piétiner en se prenant en photo.

Ici à Berlin, le 9 novembre 1989 est une vraie fête. Tout le monde est lié, d’une manière ou d’une autre, à cette chute spectaculaire. Les journaux ne parlent que de ça. On interroge les passants dans la rue, « et vous Monsieur, où étiez vous le 9 novembre? Sur le mur? Incroyable ! Racontez-nous donc ça« . Ce n’est pas très ancien, la Chute du Mur de Berlin. 26 ans. À l’échelle de l’Histoire, ce n’est rien du tout et c’est sûrement pour cela que c’est très impressionnant (comparez le 9.11.1989 à la naissance de Charles Quint le 24.02.1500 et vous réaliserez).

9.11.1918

L’Histoire allemande désigne cette date avec deux mots barbares, impossibles à lire pour les non-initiés  : Novemberrevolution et Ausrufung der Republik Deutschland (je vous avais prévenu). Les Français ne sont pas les seuls à avoir fait des révolutions ! Berlin, entre autres, à été le théâtre de révoltes sanglantes et de changements de gouvernements agités. 1918 est une année de défaite et d’humiliation. L’Empire allemand pleure plusieurs millions de morts. Depuis janvier, les grèves et le mécontentement grondent. Les gens ont faim. L’empereur est désigné comme responsable de ce chaos mondial, responsable de la guerre (j’aime bien décrire une situation historique avec des phrases courtes, ça fait pro).

Le 9 novembre, la panique gagne Berlin. Guillaume II est loin, à Spa, en Belgique. On murmure qu’il va se passer quelque chose. Vers deux heures de l’après-midi (là encore, tout semble si proche !), Philipp Scheidemann, homme politique allemand, décide de prendre les devants. Entre le fromage et le dessert (je trouve que ce détail, vrai ou pas et assez inutile, donne du charme aux évènements) il ouvre la fenêtre du Reichstag et, face à la foule, il proclame la République allemande. Vers 16h00, quelques heures après, Karl Liebknecht hisse le drapeau rouge à quelques centaines de mètres, au balcon du château royal de Berlin. Face à une foule déchaînée, il proclame, de son côté, la République socialiste libre d’Allemagne. C’est le début de la République de Weimar.

(Je pourrais ajouter beaucoup, beaucoup de choses mais les évènements se bousculent, le 9 novembre est, vous l’aurez compris, une date très prisée par l’Histoire allemande !)

9.11.1923 / 9.11.1938

Ces deux dates sont malheureuses. Elles annoncent les années noires de la Seconde Guerre mondiale et elles sont liées, terriblement liées, gardons-les ensemble. Et ne parlons pas trop (ma nature optimiste préfère parler de berlinois qui dansent sur le mur plutôt que du début du nazisme en Allemagne).

Le 9.11.1923 est communément appelé le Bürgerbräu-Putsch (le putsch de la brasserie). Dans ses mémoires « Histoire d’un Allemand » (à lire ! à lire ! à lire !), Sebastian Haffner parle de ce putsch avec surprise. L’Allemagne, ce jour-là, ne s’est pas spécialement tournée vers Münich, elle n’a pas sursauté en entendant le nom de Hitler, elle n’a pas tremblé, n’a rien vu venir. Et pour cause, des pseudos prophètes désirant changer le monde autour de leurs bières dans les brasseries de Munich…c’était chose courante à l’époque. Dans cet imbroglio de prédictions de fin du monde, Hitler et ses « amis » n’apparaissaient pas si différents. Qui plus est, c’est un putsch qui, à cette époque, s’inscrit dans la longue liste des putsch ratés. Un pétard mouillé. Hitler est jugé et incarcéré à la prison de Landsberg où il y resta huit mois. C’est avec le recul d’aujourd’hui que cette brasserie, ce putsch et cette prison prennent tout leur sens. Et c’est aussi là que l’Histoire trouve sa difficulté. Il serait bien trop facile, aux historiens et aux historiens-to-be (croisons les doigts) que de juger les évènements du passé avec notre regard d’aujourd’hui. Maintenant, quand on parle de ce putsch, on se dit « mais enfin, comment n’ont-ils rien vu, rien imaginé? ». Qui n’a pas rêvé de remonter le temps pour crier au monde d’une époque lointaine la bêtise qu’il s’apprêtait à commettre (ne me dites pas que je suis la seule dans ce cas?). Hitler n’était qu’un de ces prophètes comme les autres, on ne s’en soucia guère. On l’emprisonna à Landsberg pour ne pas lui donner envie de recommencer. Inutile, bien sûr, de préciser qu’il recommença. Dans sa prison, il rédigea Mein Kampf. Dix ans après son putsch, il était élu chancelier. Triste prélude.

Même chose pour le 9.11.1938. Ce n’est plus un prélude mais l’un des premiers chapitres d’une histoire qui fit plusieurs dizaines de millions de morts. Kristallnacht. La Nuit de Cristal. Pour un peu, on trouverait ça joli. C’est vrai, admettons-le, ça sonne mieux que Novemberrevolution. Pourtant, cette Nuit de Cristal n’est plus ni moins qu’un pogrom contre les Juifs du Troisième Reich. Des centaines de synagogues furent détruites, des milliers de commerces furent mis à sac, des Juifs furent assassinés, moururent de leurs blessures, certains se suicidèrent. D’autres, enfin, beaucoup, trop déjà, furent déportés dans les camps de concentration.

Le 9 novembre, c’est une date à répétition pour l’Histoire allemande. Qui amène son lot d’histoires et de témoignages. Ceux qui étaient là, ceux qui ont vu, les victimes comme les bourreaux. Il y a les dates et les clins d’oeil aux calendriers. Il y a les explications, parfois compliquées, des historiens (ou historiens-to-be). Et puis, il y a le silence. Je ne sais pas vous, mais moi je vais essayer de penser à tous ces 9 novembre. Après tout, j’habite Berlin.

3 réflexions sur “Clin d’oeil au calendrier : le 9 novembre

  1. Merci Cassandre pour cet aller-retour dans un passé qui semble, grâce à toi, si proche ! De 9 novembre en 9 novembre, tu nous rappelles avec humour l’importance, souvent tragique, de quelques instants décisifs…
    Vivement le 10 novembre !

    Aimé par 1 personne

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