Le mois de décembre est un mois déconcertant.
Il est sensé être le mois de la douceur de vivre. Chaque année, on se dit, cette fois, je vais profiter ! Boire des Glühwein (vins chauds). Cuisiner des Plätzchen (sablés de Noël). Écouter Bing Crosby chanter White Christmas. Récolter des fonds en faisant partie d’une chorale (comme dans les films !). Ne pas se retrouver le 24 décembre sans avoir réalisé que l’on est, justement, le 24 décembre.
Il n’y a pas longtemps, une amie m’a dit « Décembre, c’est Austerlitz, ça demande de l’organisation ».
Eh bien oui ! Décembre, c’est Austerlitz ! C’est même beaucoup plus encore. C’est le mois de Napoléon.
Décembre est un mois napoléonien.
15.12.1840
Napoléon rêvait d’être enterré sur les berges de la Seine, « auprès de ce peuple que j’ai tant aimé« . Il l’a même spécifié dans son testament de Longwood (Sainte-Hélène).
Napoléon aimait Paris (tiens, un point commun avec lui !). Il avait compris l’importance, entre autre historique, de la capitale et l’avait voulue le centre de son Empire, le centre de l’Europe. Paris, existait déjà avant la chute de Rome, à la grande époque des Césars. Paris a survécu aux invasions vikings, aux attaques barbares, aux malédictions éternelles et aux épidémies mortelles (fin de mon panégyrique sur Paris).
C’est une ville d’Histoire. Paris se devait donc d’être grandiose pour Napoléon. Le 2 décembre 1804, jour de son couronnement, il place Paris devant Rome. Le Pape doit quitter Saint-Pierre pour Notre-Dame. Paris devient le centre du continent européen.
Malheureusement pour Napoléon, il mourut (le 5 mai 1821) en territoire britannique, prisonnier de ses ennemis de toujours. Après sa mort, la Grande Bretagne refusa que sa dépouille fut ramenée en Europe. Louis XVIII, nouveau souverain français, ne semblait pas totalement convaincu de la nécessité de retrouver Napoléon sur son sol. Même mort, l’homme du 2 décembre faisait trembler. Peut-être avait-il peur qu’il se relève de son tombeau, comme lors des Cent-Jours lorsqu’il était revenu de l’île d’Elbe où on le croyait perdu à jamais. Être d’un siècle entier la pensée et la vie […] Quel rêve ! Et ce fut ton destin !… (coucou Lamartine et son poème Bonaparte, à lire, à lire !).
Le retour de la dépouille de Napoléon en France, cela signifiait les éternels bonapartistes qui sortiraient de l’ombre pour adorer leur héros. Par peur des débordements politiques, Louis XVIII refusa, donc. Les anciens généraux de la Grande Armée s’insurgèrent, écrivirent des lettres, plaidèrent leur cause auprès de l’Assemblée, auprès du Roi. Quel danger représente un pauvre cercueil? demandèrent-ils. Comment peut-on laisser le corps de l’Empereur des Français sur une terre ennemie?
C’est Adolphe Thiers (sous Louis-Philippe) qui reconsidéra la question. Pour lui, faire revenir la dépouille du vieil Empereur représentait un « coup politique ». De plus, c’était une manière de se rapprocher des grands faits de l’Histoire de France, tel que le voulait Louis-Philippe. Adolphe Thiers le sait, Napoléon est une figure populaire. Faire revenir sa dépouille, c’est mettre une grande partie du peuple de son côté.
Beaucoup s’insurgèrent. Lamartine (je me répète, son poème Bonaparte est juste magnifique) protesta. Les royalistes, qui avaient tremblé à la Révolution, frissonnèrent. Peut-être sentirent-ils un grand vent passer sur l’Europe (coucou Alfred de Musset). Les bonapartistes, les généraux déjà vieux, applaudirent.
Napoléon rentrait en France, très bien. Mais où le mettre? Pas avec les Rois de France, à Saint-Denis. Après tout, de sang royal, il n’avait point (malgré son obstination à considérer Louis XVI comme son oncle, après son mariage avec Marie-Louise d’Autriche). On passa en revue les bâtiments construits à la gloire napoléonienne. On choisit les Invalides.
Louis-Philippe ne fit pas les choses à moitié. Il envoya son fils traverser l’Atlantique. La symbolique est grande : le fils d’un roi pour accompagner la dépouille d’un ancien empereur. Dans la délégation, on compte des généraux napoléoniens. Le fils du mémorialiste de Sainte-Hélène. Ainsi que des domestiques ayant servi Napoléon à l’époque de sa gloire et de sa chute. Tout ce petit monde embarqua sur La Belle Poule (je ne ferai aucun commentaire) et traversèrent l’Atlantique au rythme des vents et des tempêtes. Sainte-Hélène est loin. Terriblement loin de tout, morceau de terre perdu en plein océan. L’expédition mit plusieurs mois à atteindre Longwood. D’après Lamartine, Ici gît…point de nom !…demandez à la terre ! La tombe de l’homme qui a fait trembler l’Europe est une tombe austère et triste, surplombée, dit-on, d’un saule pleureur.
La légende veut que lorsqu’ils ouvrirent le cercueil de fer, le corps de Napoléon était encore intact. Est-ce vrai? On se croirait dans un poème du Romantisme. Encore la petite histoire qui prend le pas sur la réalité.
Il y avait foule, ce 15 décembre 1840, lorsque la dépouille de Napoléon fut acheminée, lentement, de Courbevoie jusqu’aux Invalides. Victor Hugo – qui regretta toute sa vie d’être né trop tard, comme beaucoup de Romantiques, pour combattre dans la Grande Armée – parle d’un ciel glacé qui brille dans l’Histoire.
On raconte (encore la légende qui s’entrelace avec l’Histoire) que le maréchal de Moncey, gouverneur des Invalides, maréchal d’Empire, implora son médecin de le faire vivre encore un peu pour pouvoir être présent à l’arrivée de Napoléon. À la fin de la cérémonie, il aurait dit « maintenant, rentrons mourir« .
15.12.1940
Hitler avait le sens des symboles. 100 ans, jour pour jour après le retour des cendres de Napoléon Ier aux Invalides, Napoléon II est, sur son ordre, inhumé à son tour près de son père.
On dit d’Hitler qu’il était un grand admirateur de Napoléon Bonaparte. L’était-il vraiment ou bien le 15 décembre 1940 fut-il un coup politique parfaitement orchestré?
Décembre 1940. La collaboration « bat son plein » pourrait-on dire. Il y a eu Montoire. Il y a eu l’invitation d’intellectuels en Allemagne. Il y a eu déjà beaucoup pour que le Régime de Vichy soit à jamais montré du doigt par l’Histoire.
Hitler décide de faire revenir la dépouille de Napoléon II en France. Napoléon III avait déjà essayé, en vain. L’Autriche le considérait comme autrichien. Pauvre Aiglon, emprisonné dans Vienne pour le seul tort d’avoir pour père Napoléon Ier (personnellement, j’ai dévoré et dévore encore L’Aiglon d’Edmond Rostand – je ne suis donc peut-être pas tout à fait objective…). Pour Hitler, rien n’est plus facile (contrairement à Napoléon III), l’Autriche lui appartient depuis l’Anschluss.
Le 15 décembre 1940, les intellectuels (futurs « collabos » de l’épuration, entre autre) sont tous là. Certains, par dernier sursaut d’honneur, ont refusé de venir. Pétain lui-même s’est fait représenter par l’Amiral Darlan (assassiné le 24.12.1942 à Alger par un étudiant). C’est une cérémonie mondaine. Le commandant du Groß-Paris, le général von Stülpnagel ainsi que l’ambassadeur d’Allemagne à Paris, Otto Abetz sont présents. L’Allemagne nous a rendu l’Aiglon, Merci au Führer !, s’émerveillent les journaux de la collaboration et du collaborationnisme-to-be.
Le coup politique de Hitler fonctionne dans le monde de la collaboration. On le croit aimer la France.
En réalité, Hitler avait d’autres projets pour la France (qu’il détestait depuis 1918) que pour le reste de l’Europe. Contrairement à la Pologne (aux slaves en général) qu’il considérait comme des Untermenschen (sous-hommes), il ne voulait pas la destruction complète de la France. Paris devait devenir une vitrine. Celle de l’Ordre nouveau, du nazisme. La France devait collaborer, être transformée aux idéaux nazis (on sait comment cela s’est terminé).
Le retour de l’Aiglon, 100 ans après son père, aux Invalides, est une mécanique dans cette grande stratégie hitlérienne. Rendre Napoléon II aux Français montre, d’une part, que l’Allemagne nazie réussie là où Napoléon III a échoué. D’autre part, elle est là pour « séduire » le Régime de Vichy.
A-t-il réussi? Peu importe. Le même jour, l’un des premiers réseaux de Résistance sur le sol français, le Réseau du Musée de l’Homme (dont l’on devrait parler, parler, parler), imprime le premier numéro de son journal Résistance. « Résister ! C’est le cri de vous tous qui ne vous résignez pas » titrent les premières lignes. De son côté, Sacha Guitry, trouvait la cérémonie aux Invalides, solennelle et triste.
J’aurais aussi pu vous parler du divorce de Napoléon Bonaparte et Joséphine de Beauharnais le 10 décembre 1809. De l’évanouissement de la belle Joséphine, dit-on, lorsqu’elle apprit les projets de son impérial époux.
Décidément. Décembre est bien un mois napoléonien.
Pour terminer, j’écris encore une fois le nom de ce réseau : le Réseau du Musée de l’Homme (je vous en parlerai un jour). Que l’on oublie, parfois. Grand parce que c’était l’un des premiers en France. Grand parce qu’ils moururent presque tous, fusillés au Mont-Valérien ou disparus dans les camps de la mort. Parmi eux, Germaine Tillion (qui eut la chance de revenir).
Et n’oubliez pas de manger du chocolat en écoutant White Christmas de Bing Crosby !