L’assassinat de Paul Doumer

Ils ne sont pas nombreux, en France, les Présidents de la République assassinés. Il y eut Sadi Carnot (en 1894) puis il y eut Paul Doumer.

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Sadi Carnot

Sadi Carnot fut tué par un anarchiste italien. Paul Doumer, lui, par un russe. Ajoutez Louis Barthou (alors ministre des Affaires étrangères) assassiné par un bulgare en 1934. Et vous avez les trois hommes politiques français morts dans l’exercice de leurs fonctions, sur la scène publique, car victimes d’un attentat. Qui se souvient de Carnot, Doumer, Barthou? Plus grand monde. Le destin de Doumer, pourtant, vaut le détour. CCPH va s’intéresser un peu à lui aujourd’hui !

Le 6 mai 1932, donc, Paul Doumer, alors âgé de 75 ans, est assassiné de trois coups de feu à l’hôtel Salomon de Rothschild (Paris, VIIIème). L’auteur? Un obscure et illuminé Russe blanc, du nom de Paul Gorgulov.

Paul Doumer, cet inconnu

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Paul Doumer

Il a été Président de la République un an tout juste. Au coeur de cette Troisième République compliquée, car changeante, fantasque et peuplée de vieillards (c’est dit !). Assez foisonnante d’histoires en tout genre, cette Troisième République d’ailleurs. Il n’y a qu’à se pencher pour cueillir une anecdote au sujet d’un hôte du Palais de l’Élysée : Paul Deschanel (02.1920-09.1920) qui devint fou (et qui sauta d’un train en marche) ; Patrice de Mac-Mahon (1873-1879) et ses bourdes mémorables ; Félix Faure (1893-1895) mort dans les bras de sa maîtresse (dit-on)….

La vie de Paul Doumer s’inscrit dans le palpitant XIXème siècle, cent années où tout semblait possible et où il s’est passé tant de choses (mais vraiment tant de choses !) qu’on ne sait plus vraiment où donner de la tête (je suis une grand fan du XIXème siècle – pas seulement de la Seconde Guerre mondiale, contrairement à ce que je pourrais laisser croire – à bon entendeur, salut !).

Paul Doumer est un enfant du peuple, comme on disait alors. Son père pose des rails. Ce qui, en soit, au XIXème siècle, est un métier d’avenir – les trains représentant alors la modernité. La vie de son père, d’ailleurs, vaut également le détour : originaire de familles d’agriculteurs du Cantal, il quitte sa région natale avec femme et enfants pour travailler dans le boom ferroviaire. Nous sommes en plein coeur de la Révolution industrielle, ce vent de nouveautés tout droit venu d’Angleterre qui propulsa le monde dans une course sans fin à la technique, l’évolution, le changement.

Changer de région peut nous sembler, nous enfants du XXème siècle (voir, pour ma part, de sa fin), quelque chose de banale. Pas de quoi en faire un drame, pas quoi applaudir non plus. Imaginez-vous vers 1860 et vous verrez que ce n’était pas si facile à une époque où « l’étranger » n’était rien d’autre que l’habitant du village plus ou moins proche (George Sand soulève ce sujet dans La Mare au diable !). Alors, quitter son « pays » comme on disait alors…le père de Paul Doumer, d’une certaine manière, en inscrivant sa vie dans la Révolution industrielle, a fait preuve de modernisme.

À sa mort, le jeune Paul monte à Paris avec sa mère. Lisez Zola. Il vous apprendra que les chances, alors, semblaient être décuplées dans la capitale – lieu d’ascension sociale, de travaille mais aussi de tous les dangers. Madame Doumer survit en faisant des ménages. Paul, lui, va à l’école. Et c’est bien cela qui le sauva.

Car voilà. L’école était obligatoire (coucou Jules Ferry !) et on y apprenait les bases destinées à plus ou moins aider une vie qui s’annonçait, pour Paul Doumer du moins, bien compliquée. Il arrête l’école après le certificat d’études (qui existait encore il y a moins de cinquante ans de cela !), devient coursier de grands magasins, enchaîne les petits boulots, travaille. Il s’agit de subvenir aux besoins de sa famille. Ouvrier graveur, il suit des cours du soir au Conservatoire des arts et métiers, passe son baccalauréat (incroyable !), devient professeur de mathématiques en lycée, se marie puis écrit de petits articles pour la presse alors à son apogée.

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Villa du gouverneur d’Indochine

Destin hors du commun? Peut-être. Même si le XIXème siècle regorge d’histoire de vie de ce genre. Tout cela grâce à l’école, l’école, l’école (on ne le dira jamais assez). Paul Doumer écrit pour la presse, donc. Les médias, les journaux. S’il y a un domaine influent à l’époque (et tout nouveau), c’est bien celui de les médias. Relisez Bel-Ami. Des feuilles de choux tachées d’encre, il n’y avait plus qu’un pas (plus ou moins grand) pour atteindre le monde de la politique. Un pas, que Paul Doumer franchit. Il devint député. Puis gouverneur général de l’Indochine. Les colonies, à l’époque, se transformaient souvent en ascenseur social vers la gloire. Rappelons-nous : nous parlons toujours d’un fils d’agriculteur du Cantal devenu gouverneur de l’Indochine, tout là-bas, à des milliers de kilomètres de chez lui, sous la moiteur de l’Asie du Sud-Est. Chapeau.

À l’époque de la guerre des Boxers (encore un sujet dont CCPH devrait parler, la liste s’allonge sans cesse), il est rappelé en France. Son autoritarisme et son intransigeance ne s’inscrivent pas dans la politique d’apaisement de Théophile Delcassé et de Paul Cambon. Surtout que la crise de Fachoda s’annonce alors, après celle germano-française du Maroc. Les colonies deviennent soudain, pour la France, le centre du monde.

Il entre alors au Parlement. Puis survient, terrible, le choc de 14. Né en 1856, Paul Doumer est bien trop vieux pour faire la guerre. Ses fils, au contraire, appartiennent à la génération des fauchés de 14-18 et il en perdra quatre (sur cinq). Paul fait donc de la politique. De tendance gauchisante, il fait partie dans les années 1920 du cartel de gauche, puis devient président du Sénat.

Nous sommes en 1930. Locarno et sa politique de détente franco-allemande s’éloigne. Outre-Rhin, le bruit des bottes résonne de nouveau. Paul Doumer est un travailleur. Souvenir de sa jeunesse difficile de coursier et de bachelier des cours du soir. C’est un Président de la République âgé de 74 ans qui pose alors ses bagages à l’Élysée. Je me demande ce qu’il a ressenti, ce soir-là, le jour de son élection, en mai 1931. S’est-il souvenu d’où il venait? A-t-il eu un coup au coeur, comme une surprise mêlée de fierté? Ces destins tellement XIXème siècle me fascine.

L’attentat

Un Président de la République, à cette époque-là (avant la Cinquième, donc), ne gouvernait pas. Du moins, il n’avait pas l’autorité d’après 1958, celle que l’on connaît et que l’on attribue à nos Présidents d’aujourd’hui. Paul Doumer (et tous les autres avant et après lui) fait surtout figure de représentation. Il reçoit des fleurs des enfants, visite la France et ses usines, va dans les écoles, inaugure des expositions.

Assassinat de Paul Doumer
L’assassinat de Paul Doumer

Le 6 mai 1932 s’inscrit dans la routine pour ce vieux monsieur à la barbe blanche. Sous les dorures de l’hôtel Salomon de Rothschild, il inaugure une exposition consacrée aux anciens de 14-18 et aux écrivains ayant dédié leurs oeuvres à la première guerre mondiale.

Il achète quelques livres, sûrement, discute. C’est une ambiance feutrée et douce. Paul Doumer, alors, ne se doute peut-être pas (peut-on jamais savoir?) qu’il terminera sa vie comme celle de Sadi Carnot, autrement dit assassiné?

Trois coups de feu retentissent. Le Président s’effondre sur les tapis aux arabesques compliquées. Il a été touché au torse, à l’aisselle, au crâne. Il saigne, il agonise, il se meurt. C’est la panique. On arrête son agresseur, un jeune fou aux yeux exorbités, un russe. Puis on transporte le corps inanimé de Paul Doumer à l’hôpital. Il décèdera le lendemain, 7 mai 1932, de ses blessures.

On a assassiné le Président ! Ce vieux bonhomme à l’air sévère, aux vêtements sombres et à la barbe blanche. Dans les journaux, c’est la stupéfaction. Pourquoi Paul Doumer? On ressort l’affaire Sadi Carnot. Ce dernier, au moins, l’avait cherché d’une certaine manière : en pleine époque anarchiste, il avait refusé de gracier Ravachol ;  un anarchiste italien s’était alors vengé. Mais Paul Doumer? Pourquoi lui?

Paul Gorgulov, le terroriste illuminé?

Gorguloff
Gorgulov

Mais qui est l’assassin de Paul Doumer? Fier de son geste, il a évité de justesse le lynchage par les invités présents à l’hôtel Salomon de Rothschild. Arrêté, il passe au tribunal, puis est condamné à la peine de mort en 1932.

D’une certaine manière, Paul Doumer et Paul Gorgulov ont une chose en commun : leurs origines. Tous deux viennent d’une famille de paysans. L’un du Cantal, l’autre du Caucase. Né sous le règne du tsar Nicolas II, Paul (ou Pavel Timofeïevitsch) a quitté sa ferme familiale caucasienne pour étudier la médecine. Au cours de ses études, éclate 1914. Âgé de 19 ans, alors, il est mobilisé, est jeté au front comme des milliers d’autres de sa génération. 1917, c’est la révolution. Mais Paul Gorgulov n’est pas bolchévique. Il les exècre et ne leur pardonnera jamais d’avoir tué le tsar. Il combat aux côtés des Russes blancs (Boris Pasternak parle de ce combat fratricide dans son excellent, excellent Boris Pasternak ! à lire, à lire, à lire !).

Lorsque la Russie devient l’URSS, il quitte son pays pour Prague puis pour Paris. Il se prétend médecin, est découvert, quitte tout pour la France où il épouse une suissesse qui sera sa troisième épouse. Il n’a pas encore 35 ans et une vie déjà tourmentée. Habitant Nice, il est expulsé de France pour exercice illégal de la médecine. On se croirait dans du Némirovsky. Il s’installe à Monaco puis monte à Paris. Le 6 mai 1932, il tira alors sur Paul Doumer.

Mais pourquoi?

Paul Gorgulov, dans son délire d’homme incompris, amer, d’homme malmené par la vie et illuminé par une cause qui donnerait un sens à ses trente-sept années sur terre, accuse la France de n’avoir pas combattu aux côtés des Russes blancs contre les bolcheviks. Paul Doumer, en tant que représentant de la France, est la cible parfaite pour toute cette haine contenue. Au tribunal, il pérore, il est fier de son geste. On tente de le faire passer pour un fou mais le juge l’estime pleinement conscient de ses actes. Le 14 septembre 1932, il est guillotiné.

Deux ans plus tard, ce sera au tour de Louis Barthou, ministre des Affaires étrangères, de mourir sous les balles d’un révolutionnaire bulgare aux côtés du Roi Alexandre de Yougoslavie. Puis ce sera la guerre, la seconde, la terrible. L’autre des « der des der ». Mais c’est une autre histoire.

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6 réflexions sur “L’assassinat de Paul Doumer

  1. « 15 ANS DE MAFIA »
    15ansdemafia.wordpress.com
    PAUL DOUMER est surtout en 1883 l’administrateur de l’Indochine qui créé le monopole d’état de l’OPIUM. Sénateur Corse, il sera indirectement à l’origine du trafic de drogue qui toucha les USA. Son monopole est aussi à l’origine de la délinquance de Marseille avec ses laboratoires clandestins de traitement de la morphine base. « Grâce » à lui, l’Indochine (Vietnam) sera la seule colonie de l’Empire français a rapporter de l’argent à l’Etat français. En 2018, les trafiquants de drogue, héritiers des années de PAUL DOUMER, sont toujours au Cambodge…et ce sont toujours des corses….

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  2. « …mourir sous les balles d’un révolutionnaire bulgare aux côtés du Roi Alexandre de Yougoslavie ».
    Plutôt croate que bulgare il me semble.

    Par ailleurs le trafic d’opium existait en Indochine bien avant Paul Doumer, qui s’est contenté de lui donner une façade légale avec la régie de l’opium… à l’instar de ceux qui veulent maintenant légaliser et taxer le cannabis.
    Enfin, la délinquance marseillaise n’a pas attendu la « french connection » ni le trafic d’opium pour se développer.

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    1. Le terroriste était bien bulgare, mais membre des « oustachis » – cette organisation en effet croate dont je parlerai certainement lors d’un prochain article sur Louis Barthou (personnage, là encore, tout à fait oublié – le choc de son assassinat est d’ailleurs, entre autre, parfaitement décrit dans les mémoires de Geneviève Tabouis « Ils l’ont appelé Cassandre » que je ne peux que recommander).

      Pour revenir aux oustachis, ceux que l’on accusa d’être responsable de l’attentat, leur histoire est tout à fait méconnue en France et, je pense, dans une grande partie de l’Europe. Pourtant, les crimes dont cette organisation croate qui prend le pouvoir lors de la Seconde Guerre mondiale, sont tout aussi inhumains que ceux commis par les nazis.
      Mouvement séparatiste croate, d’extrême droite et antisémite, ils militent contre l’existence même de la Yougoslavie. L’attentat commis a l’encontre de Louis Barthou avait d’ailleurs surtout pour cible Alexandre, roi de Yougoslavie.
      Longtemps clandestins, les « oustachis » prirent le pouvoir en 1941 et créèrent l’Etat indépendant croate. Dictature fasciste, aux grandes similitudes avec le Troisième Reich hitlerien, ils organisèrent des exterminations de masse, notamment des populations juives, tziganes, serbes ou communistes (qu’ils combattirent aux côtés de la Wehrmacht). Le camp de concentration de Jasenovac est le symbole de la barbarie des oustachis pendant la Seconde Guerre mondiale. Ante Pavlevic, leur chef, ainsi que les hautes figures dû mouvements, parvinrent, pour la plupart, à avoir la vie sauve et à quitter le pays en 1945.

      Je réalise en vous écrivant, que tout cela mérite un article plus complet !

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  3. Et les oustachis n’ont pas manque de faire parler d’eux lors des conflits qui ont mené à l’éclatement de l’ex-Yougoslavie dans les années 90 du siècle dernier.

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